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Lucie Pinson: “Nous pouvons gagner la guerre climatique”

2020 Goldman Prize winner Lucie Pinson

December 15, 2020

Ce qui suit est une déclaration de Lucie Pinson, lauréate du prix Goldman pour l’environnement 2020. Lisez la traduction en anglais.

Par Lucie Pinson

Nous pouvons gagner la guerre climatique.

Les événements climatiques extrêmes s’accélèrent et s’intensifient, paupérisant encore plus les moins responsables de la catastrophe écologique et attisant les tensions sociales sur fond de montée des nationalismes. L’Arctique fond, la Californie et l’Amazonie sont en feux, les inondations frappent ici, la sécheresse sévit là-bas. Beaucoup se tournent vers des décideurs politiques et économiques. Mais après des décennies de lutte écologiste et autant de mouvements successifs – dont le dernier insufflé par Greta il y a plus d’un an – le sursaut n’est toujours pas là.

Et pourtant…

Nous pouvons gagner la guerre climatique.

C’est ce que je me suis refusée à croire pendant des années. Comme beaucoup d’autres, je ne voyais pas ce que moi, seule, “personne”, pouvais faire face à cette catastrophe en marche et à ces injustices croissantes. Me consacrer aux urgences humanitaires causées par les dysfonctionnements de nos sociétés ? Revoir mon mode de vie était une évidence, mais quoi d’autre ?

Et puis j’ai découvert le secteur le plus polluant au monde : la finance.

La finance est au cœur de notre système économique. Sans elle, aucune activité ne serait possible. Or, malgré toute la bonne volonté – affichée ou sincère – de la finance dite durable, la finance majoritaire alimente la catastrophe climatique.

Banques, assureurs et investisseurs orientent la majorité de leurs services vers le développement de pratiques dopées aux énergies fossiles. La finance est aujourd’hui complice de la surexploitation des ressources naturelles et de lourdes violations des droits humains. Dans mon pays, la France, l’ex-Président François Hollande a proclamé « l’ennemi c’est le monde de la finance ».

Mais non. L’ennemi, c’est ce que j’appelle la Culture de la Défaite.

Le plus grand mal de nos sociétés n’est peut-être pas d’anéantir le vivant et de détruire nos environnements, mais de faire croire que nous n’y pouvons rien changer. Que pouvons-nous face… à la hiérarchie, à la concurrence, au capitalisme, au “système”, à la nature humaine…? Chacun a ses raisons pour se penser impuissant, chacun a sa montagne infranchissable pour se sentir trop petit. Les comportements individuels changent mais cette culture mène beaucoup à renoncer à changer les règles du jeu, avant même d’avoir essayé. La majorité cultive son jardin ou balbutie son désaccord à la machine de café. La minorité impliquée, salarié(e) d’ONG ou responsable RSE en entreprise s’autocensure pour se cantonner au rôle attendu d’eux. Ici, on conteste, on porte des demandes plus symboliques qu’utiles ; là, on donne l’apparence d’une entreprise responsable sans porter des initiatives vraiment impactantes mais aussi plus disruptives. On nettoie le camp de base, mais on n’attaque jamais la montée.

Nous pouvons gagner la guerre climatique, mais à condition de ne pas rester témoin ou figurant de la catastrophe climatique. Celle-ci n’a rien d’inéluctable. Comment gravir une montagne infranchissable ? Un pas après l’autre.

C’est ce que j’ai décidé de faire en 2013 en m’engageant aux côtés des Amis de la Terre dans une des nombreuses batailles à mener si nous voulons gagner la guerre climatique : stopper les énergies fossiles. Pour cela, il faut avant tout couper le robinet : provoquer l’arrêt complet des services financiers à ces industries. De même que la guerre climatique est le plus grand défi auquel l’humanité fait face, cette bataille pouvait sembler loin de ma portée. C’est simple, je ne connaissais alors rien à la finance. A Paris, j’avais face à moi des banques, assureurs et investisseurs parmi les plus gros au monde, des milliers de milliards de dollars. Tous soutenaient massivement le charbon, industrie responsable de millions de morts et première source d’émissions de gaz à effet de serre.

Mais nous pouvons gagner la guerre climatique.

Aujourd’hui, j’ai l’honneur de recevoir le Goldman Environmental Prize. J’ai mis, aux côtés de mes collègues, français et internationaux, toute mon énergie à convaincre ces acteurs, un par un, d’adopter des mesures inédites et ambitieuses visant à stopper le charbon. Cela ne s’est pas fait d’un coup, mais par étape. A coups de pédagogie, de négociations et de combats. Une banque après l’autre, un assureur après un investisseur. Toujours avec une conviction en tête : chaque victoire isolément ne suffira pas à contenir le réchauffement sous les 1,5°C mais sauve immédiatement des vies… et est sur le long terme indispensable pour gagner la guerre climatique.

Quand les banques françaises ont été les premières au monde à arrêter de financer des nouveaux projets de mines et centrales à charbon à partir de 2015, AXA a été le premier en 2017 à ne plus en assurer et à ne plus investir dans des entreprises qui loin de se contenter du charbon existant entendent aggraver la situation climatique et sanitaire en construisant de nouvelles centrales à charbon. En 2019, Crédit Agricole a adopté la première politique globale de sortie de l’ensemble du secteur du charbon. Les jalons se sont succédés, et aujourd’hui, près d’une vingtaine d’acteurs financiers de taille significative sont en voie de soutenir de manière efficace la sortie du charbon au niveau international.

A chaque étape, on m’a tout d’abord rétorqué des « c’est trop compliqué, on n’arrivera jamais à le porter », « c’est impossible, on se tirerait une balle dans le pied », « c’est irréaliste et ça ne passera jamais les validations de mes supérieurs, ce n’est pas même la peine d’essayer ». Puis, l’impossible devenait envisageable avant finalement de passer les ultimes validations. Le risque de réputation a été essentiel à ces victoires, mais celles-ci n’auraient pu advenir sans la conviction d’individus à pouvoir, individuellement et collectivement, changer les choses.

Le Goldman Environmental Prize, remis à 6 individus tous les ans, démontre que chacun d’entre nous peut arracher les victoires d’étape nécessaires pour gagner la guerre climatique. Oui, le monde va mal. À nous tous de refuser cela. Ne nous laissons pas piéger par la culture de la défaite, qui nous tue à petit feu. À chaque fois que quelqu’un monte une marche, nous sommes en train de gagner la guerre climatique.


About the author:
Lucie PinsonLucie is founder and executive director of Reclaim Finance, an NGO and think tank reimagining the role of finance in the fight against climate change. Lucie’s activism successfully pressured France’s largest banks and insurers to eliminate financing for new coal projects and coal companies. A longtime social and environmental justice volunteer, Lucie has worked with Friends of the Earth and Sunrise International. Lucie won the Goldman Prize for Europe in 2020.

 

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